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Automne 2021 (volume 31, numéro 3)

Combler le fossé : apprendre l'espagnol pour mieux aider mes patients

Par Nancy Keesal, M.D., FRCPC

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J’ai toujours eu une passion pour les langues. Je suis née à Montréal, j’ai fréquenté une école primaire et un établissement d’enseignement secondaire juifs et j’ai appris le français, l’anglais, l'hébreu et le yiddish, sans oublier la langue des signes, car j’avais deux grands-parents sourds-muets. Cela étant dit, lorsque j’ai déménagé à Toronto pour effectuer ma résidence, le multiculturalisme de la ville était intimidant, et j’ai vite compris que la traduction était un élément fondamental et souvent frustrant de la pratique médicale. Quelle que soit la compétence de votre traducteur, vous savez que vous n’obtenez jamais l’intégralité de l’histoire, et que votre patient n’en tire pas le meilleur parti.

Lorsque j’ai commencé à exercer en cabinet privé en tant que rhumatologue, je passais une partie de mon temps dans un quartier de Toronto dont les patients étaient en majorité portugais ou espagnols. Un patient sur deux nécessitait les services d’un traducteur; comme cela prenait du temps et était fatigant, je me suis inscrite à un cours d’espagnol. Cela fait maintenant des années que je vois des patients sans l’aide d’un traducteur. Cela m’a même permis d’apprendre un peu de portugais, certes pas assez pour me passer d’un traducteur, mais suffisamment pour m’apercevoir quand ce que je dis n’est pas correctement traduit. C’est effrayant de constater à quel point les informations que nous partageons avec nos patients ou les questions que nous leur posons sont souvent mal transmises.

Grâce à ma connaissance de l’espagnol, j’ai décidé de me rendre dans l’une des régions les plus pauvres du Guatemala avec un organisme non gouvernemental (ONG), et d’y offrir mes services. La « clinique » était rudimentaire et nous n’avions pratiquement aucune fournitures médicales. On a annoncé dans tout le village qu’un « médecin des os » était en ville. J’ai glissé beaucoup de Depo-Medrol dans ma valise (j’avais découvert que pour l’introduire légalement dans le pays, il fallait que le maire de la ville écrive une lettre en mon nom et remplisse dix pages de paperasse; je l’ai donc dissimulé dans mon bagage). J’ai écouté de nombreuses histoires et administré beaucoup d’injections de cortisone cette semaine-là. J’ai dû ignorer la patiente sur laquelle j’avais observé une masse dans le sein parce qu’elle n’avait pas d’argent pour les soins médicaux, ainsi que les poux sur un nouveau-né qui lui avaient été transmis par la seule sage-femme du village. On ne pouvait rien y faire car il leur était impossible de laver tous leurs vêtements avec de l’eau propre.

Il existe tant d’obstacles à l’équité, tant de différences culturelles qui conduisent à la séparation au lieu de la célébration. Dans le domaine médical, la capacité à communiquer avec ses patients est au coeur des relations. La langue, tout au moins en ce qui me concerne, m’aide à briser la glace, du moins avec certains de mes patients. La langue a enrichi ma vie, m’a apporté du bonheur et m’a aidée à élargir mes horizons et maintenant, c’est ce que j’essaie d’enseigner à mes enfants.

Nancy Keesal, M.D., FRCPC
Rhumatologue, Toronto (Ontario)



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