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Printemps (Volume 28, numéro 1)

Le chèque N'EST PAS à la poste

Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR

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La médecine est non seulement une vocation et une profession, c’est aussi une entreprise. Les liquidités sont l’élément vital d’une entreprise, les dépenses mensuelles, trimestrielles et annuelles nécessitant un apport de fonds suffisant pour les couvrir. Dans un système de soins de santé à payeur unique, le régime provincial de soins de santé est la source de revenus la plus simple. En général, le nombre de codes de facturation est faible; la facturation ne requiert que quelques clics de souris après chaque consultation clinique et des lots de factures peuvent facilement être transmis par voie électronique, du moins lorsque le portail Web du gouvernement fonctionne (à condition bien sûr d’éviter d’utiliser l’un des nombreux fureteurs incompatibles avec le portail). Les paiements sont versés chaque mois dans le compte bancaire de mon cabinet, et très peu de réclamations sont rejetées. Le seul problème, c'est que les pressions budgétaires exercées sur le gouvernement font actuellement en sorte que des réductions arbitraires de 4,45 % sont appliquées sur chaque facture de mon cabinet, et cette pratique ne semble pas près de disparaître. De fait, le gouvernement ontarien propose maintenant de fixer un plafond strict sur l’ensemble des honoraires des médecins et d’ajouter un facteur de partage des risques dans l’équation des paiements, ce qui, au mieux, assurera aux médecins un revenu fixe dans un avenir prévisible. Prions pour que le taux d’inflation reste bas et qu’il n’y ait pas de hausse d’impôts!

En théorie, il devrait être plus intéressant de traiter avec les payeurs du secteur privé. Cette option présente en effet divers avantages, notamment l’absence de disposition de récupération, la possibilité de hausses futures et une diversification du revenu. Il est toutefois un peu plus difficile de facturer ces entreprises et de percevoir les sommes dues pour le travail qui a été fait. Dans un éditorial précédent, j’ai parlé de la difficulté de se faire payer pour participer à des sondages en ligne. Qu’en est-il de l’industrie et des autres tiers payants privés? Permettez-moi de vous faire part de quelques exemples personnels.

Participation aux conseils consultatifs : Ce thème a été abordé dans l’article Articulons nos pensées, paru dans le numéro de l’été 2016 du JSCR. Pour ceux d’entre vous qui n’ont jamais pris part à de tels événements, laissez-moi vous dire que la participation est en fait la partie la plus facile. Les formalités administratives avant l’événement et le processus de paiement sont plus lourds. Il y a d’abord l’invitation, puis le formulaire d’inscription à remplir. Cependant, le formulaire d’inscription envoyé par bon nombre d’entreprises est toujours blanc, peu importe que j’aie ou non déjà travaillé pour elles et que l'entreprise ait déjà en mémoire mes données démographiques, le nom de mon cabinet et mon numéro de TVH (taxe de vente harmonisée). Chaque nouveau représentant et chaque nouvelle entreprise de formation médicale continue (FMC) semblent toujours reprendre de zéro. Où est « Big Brother » lorsqu’on a besoin de lui? Je reçois ensuite un contrat de sept pages, où je dois prêter serment que je ne suis pas un fonctionnaire de l’État, que j’emporterai les secrets de l’entreprise dans ma tombe, etc. Je dois admettre que je lis rarement ce contrat type. Je félicite les rares entreprises qui autorisent la signature électronique des documents, ce qui m’évite d’avoir à imprimer le document, à le signer puis à le numériser. Il arrive aussi de plus en plus fréquemment qu’on me demande de produire mon curriculum vitæ et mes titres de compétences. Je conserve donc maintenant tous ces fichiers sur mon téléphone, afin de pouvoir les soumettre rapidement sur demande.

Après une réunion, il est rare d’être payé sur-le-champ. Les paiements sont habituellement versés après une période de quatre à huit semaines; au-delà de ce délai, il est conseillé d’entreprendre des démarches. Fait intéressant, on nous impose des délais souvent très serrés pour remplir toutes les formalités administratives avant une réunion, mais toute urgence disparaît une fois le travail contractuel terminé. Il m’est arrivé à une occasion de ne pas soumettre de formulaire de dépenses, car je n’avais aucune dépense à réclamer. Comme le paiement de mes honoraires tardait à arriver, j’ai communiqué avec l’entre-prise qui m’a dit qu’elle ne versait pas d’honoraires sans la présentation d’un formulaire de dépenses dûment rempli, et ce, même si les dépenses étaient nulles. J’ai donc appris ma leçon – désormais, j’envoie toujours un formulaire de dépenses signé. Bien sûr, de telles façons de faire favorisent les pratiques telles que réclamer 16 $ pour un jus d’orange (ce qu’a fait Bev Oda, une ancienne ministre du Cabinet fédéral) ou 3 $ pour du thé et des biscuits alors qu’on nous verse des honoraires d’expert-conseil de 3 000 $ par jour (consultants pour le programme cyberSanté de l’Ontario). Il faut essayer d’éviter ces pratiques. Le délai le plus long que j’ai dû attendre est de cinq mois pour le remboursement de dépenses de 17 $ – il aurait mieux valu que je ne facture pas ces dépenses.

J’ai aussi presque renoncé à l’idée que mes honoraires soient payés à mon cabinet et que mes dépenses personnelles me soient personnellement remboursées. Apparemment, un tel partage des paiements est trop complexe pour les systèmes comptables de la plupart des multinationales, car cela exigerait qu’elles me considèrent comme deux fournisseurs distincts. Je devrai peut-être repenser ma participation, car une autre tendance veut que les entreprises émettent les feuillets T4A des années après le paiement, après qu’elles ont fait l’objet d’un audit par l’Agence du revenu du Canada. Cette pratique ne profite toutefois qu’à mon comptable, qui doit alors modifier d’anciennes déclarations de revenus. Et n’oubliez pas de transférer les remboursements de dépenses personnelles hors du compte de votre cabinet, si ces remboursements sont substantiels, afin de réduire au minimum toute imposition inutile.

Bien que la taxe de vente harmonisée (TVH) soit en vigueur depuis 1991, sa perception demeure difficile, plus de 25 ans plus tard. Parfois, je saute la ligne sur le contrat où je dois préciser le bénéficiaire : s’il ne s’agit pas de mon entreprise, la TVH sera vraisemblablement omise, même si j’ai indiqué mon numéro de TVH ailleurs. J’essaie toujours de calculer le montant réel de la TVH et de l’inscrire sur le contrat ou sur le tableau des dépenses. Malgré cela, j’ai reçu récemment un chèque de 366 $, qui aurait dû en fait être de 663 $. Les erreurs de cette nature sont sans doute dues à une dyslexie informatique et au défaut d’utiliser un tableur électronique.

Autre nuance concernant la TPS et la TVH : Comme je vis en Ontario, j’ajoute sur mes factures la TVH d’un taux 13 %, puis je rembourse chaque trimestre la TVH perçue à l’Agence du revenu du Canada. Récemment, une multinationale qui compte des centaines d’employés partout au Canada, mais dont le siège social n’est pas en Ontario, a commencé à ne rembourser que la TPS de 5 %. Cette multinationale justifie cette pratique du fait qu’elle ne possède qu’un seul bureau au Canada, et que celui-ci n’est pas situé en Ontario. J’ai communiqué avec le service de comptabilité de l’entreprise qui m’a envoyé des documents pour justifier sa position, qu’aucune autre entreprise avec laquelle je collabore n’utilise. D’autres casse-tête comptables à prévoir, et sûrement d’autres factures de mon comptable. Autre fait encore plus intéressant, cette même entreprise paie la TVH de 13 % lorsque je parle en son nom, mais ne paie que la TPS de 5 % si je ne fais qu’assister à une réunion d’un de ses conseils consultatifs.

Je recommande de privilégier le dépôt direct. Cela permet d’éviter tout problème en cas de grève chez Postes Canada. Vous n’avez pas non plus à attendre que le représentant de l’entreprise se présente à votre cabinet avec le chèque (avis à tous les payeurs : sachez que je saurais quoi faire avec une enveloppe contenant un chèque que je recevrais par la poste). Finie l’excuse du chèque qui a été mis dans le coffre de la voiture mais qu’on ne retrouve plus (histoire vraie). Fini également le jeu du chat et de la souris dans le cas des chèques livrés par messagerie, la plupart de ces chèques donnant par ailleurs l’impression que quelqu’un les a laissés sur le plancher du camion de livraison et qu’ils ont été piétinés avec des souliers couverts de boue. Récemment, un chèque livré par messagerie devait arriver à mon cabinet pendant mes vacances. En ayant été informé à l’avance, j’ai demandé que la livraison du chèque soit reportée de deux semaines, après mes vacances. Aucun problème, m’a-t-on assuré. Cependant, ce qui s'est réellement produit, c'est que le chèque original a été accepté en mon absence par la pharmacie de mon immeuble, qui a attendu des semaines avant de me le remettre. Lorsque la pharmacie me l’a finalement remis, j’avais reçu un chèque de remplacement, et je ne savais plus lequel encaisser, car le paiement avait été bloqué sur l’un d’eux. Le problème a été résolu, après de nombreux courriels. À d’autres occasions, j’ai reçu des chèques sans provision de payeurs pourtant fiables, parfois parce que le compte de l’entreprise avait été fermé ou qu’il y avait eu paiement en double – une source d’embarras pour tout le monde.

Conservez toujours toute la correspondance concernant un travail jusqu’à la réception du paiement. J’ai récemment reçu une lettre dans laquelle on me remerciait pour mon travail dans le cadre d’un projet et on précisait qu’un paiement de x $ était joint à la lettre. Cependant, le chèque était en fait d’un montant de 0,5 fois supérieur au montant prévu, ce qui représentait une différence substantielle. Après d’autres courriels et appels téléphoniques, j’ai dû retourner le chèque et soumettre une nouvelle facture indiquant le montant approprié.

Et que dire des factures! J’avais l’habitude de soumettre des factures sans qu’on me le demande, car elles me fournissaient une piste d'audit normalisée et qu’elles incluaient les renseignements sur mon entreprise et mon numéro de TVH. Puis, on m’a dit que les factures causaient de la confusion au sein du service de comptabilité et qu’il était préférable de cesser d’en produire. Récemment, d’autres entreprises ont adopté la position contraire, exigeant la production d’une facture pour le paiement de la TVH. Et il ne s'agit pas d’une simple facture. Une entreprise m’a envoyé un guide de facturation, énonçant 10 éléments essentiels devant figurer dans un ordre précis. Les entreprises n’ont pas toutes une approche aussi normative; ce qui importe, toutefois, c’est de les facturer en utilisant la raison sociale officielle de l’entreprise au Canada, qui peut être bien différente du nom qu’elles utilisent dans leur correspondance de tous les jours.

Voici une autre anecdote qui me permet de désigner une de mes collègues comme étant la rhumatologue la plus honnête du Canada : à la fin de 2015, j’ai répondu à un sondage en ligne sur une période de deux semaines, un service pour lequel on m’avait promis des honoraires d’un montant à trois chiffres. N’ayant toujours pas été payé après six mois, j’ai demandé ce qu’il en était. On m’a dit que le sondage venait d’être terminé et que le paiement devrait être fait dans les 60 jours ouvrables. Trois mois plus tard, j’ai envoyé un autre courriel demandant des précisions sur le paiement, et on m’a donné l’assurance que le paiement serait versé sous peu. Finalement, dix mois après ma participation au sondage, j’ai reçu un appel d’une collègue, la Dre Lynn Hamilton, qui m’informait que des honoraires établis en mon nom avaient été livrés à son domicile. N’eût été son honnêteté, je n’aurais jamais été payé! Merci, Lynn!

Autre exemple, le Dr Roman Jovey, un collègue spécialisé dans le traitement de la douleur, m’a contacté après avoir reçu un chèque établi en mon nom pour le remboursement de dépenses, dans une enveloppe qui avait été adressée par erreur à son domicile.

Il est intéressant de travailler pour le secteur privé lorsqu’on en a l’occasion; il faut toutefois savoir que se faire payer pour le travail accompli exige beaucoup plus d’efforts qu’on pourrait le penser.

Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef du JSCR, Scarborough (Ontario)



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