Printemps 2025 (Volume 35, numéro 1)
L’intelligence artificielle en rhumatologie : amie ou ennemie?
Par Carol Hitchon, M.D., FRCP(C), M. Sc.; Liam O’Neil, M.D., FRCPC, M. Sc. S.; et Pingzhao Hu, Ph. D.
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L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans la vie quotidienne et les sciences médicales est un domaine en pleine émergence. La surveillance des recherches sur Internet est désormais une pratique répandue pour cibler les informations présentées lors de recherches personnelles en ligne et sur les fils de médias sociaux. Par ailleurs, la SCR soutient l’utilisation d’outils de rédaction tels que ChatGPT (un transformeur génératif pré-entraîné) et d’outils de dictée tels que les scribes IA. Dans les centres de recherche, de grands ensembles de données contenant une vaste quantité de données cliniques, biologiques et d’imagerie sont analysés afin d’explorer des schémas de données et de prédire une variété d’états et de résultats cliniques. L’IA a clairement le potentiel pour être un puissant outil clinique et de recherche, mais il convient de faire preuve de prudence lors de l’interprétation des études basées sur l’IA et de l’utilisation des outils d’IA.
Plusieurs lignes directrices publiées aident à l’interprétation des études cliniques utilisant des modèles d’intelligence artificielle, y compris la dernière version de la liste de vérification, appelée « Minimum Information about Clinical Artificial Intelligence Modelling » (MI-CLAIM)1, et des directives sur l’intégration éthique des outils d’IA dans la pratique clinique2. Concernant les études cliniques, ces lignes directrices soulignent l’importance de choisir des ensembles de données cliniques représentatifs de la population à l’étude et décrits en détail avec une terminologie claire et sans ambiguïté. La précision et la reproductibilité des modèles générés doivent dans l’idéal être comparées à celles des modèles basés sur les cliniciens (qui constituent toujours la « référence ») ainsi qu’à celles d’autres modèles d’apprentissage automatique. En effet, les modèles basés à la fois sur l’IA et sur les cliniciens surpassent souvent les modèles basés uniquement sur les cliniciens. Ces étapes d’assurance de la qualité sont essentielles, car comme le dit l’expression suivante : « erreurs en entrée, erreurs en sortie ».
En rhumatologie, de nombreux groupes au Canada et à l’étranger explorent de vastes ensembles de données cliniques et biologiques pour élaborer des modèles de prédiction permettant de catégoriser les phénotypes cliniques, de prédire les résultats cliniques et de comprendre les mécanismes biologiques. L’application des méthodes d’IA à l’interprétation d’images radiographiques est moins étudiée (en rhumatologie). Ces études ont été utilisées pour évaluer les examens d’imagerie par résonance magnétique (IRM), de tomodensitométrie (TDM), de mammographie et d’échographie dans d’autres spécialités. En rhumatologie, les radiographies ordinaires demeurent l’outil d’imagerie le plus utilisé pour évaluer les lésions articulaires dans l’arthrite inflammatoire, et les scores de lésions articulaires sont considérés comme la « référence » pour évaluer la progression des lésions dans les études cliniques. Cependant, l’évaluation manuelle des radiographies prend du temps, nécessite l’expertise de professionnels qui ne sont pas toujours disponibles et n’est donc pas pratique pour des rhumatologues bien occupés. Quelques groupes ont utilisé l’apprentissage automatique, un type d’IA pour évaluer et quantifier les lésions articulaires à la radiographie dans l’arthrite inflammatoire.
Notre équipe de recherche utilise des méthodes d’IA pour développer un outil permettant aux clinicien(ne)s
et aux chercheurs(euses) d’évaluer les radiographies standard de patients atteints de polyarthrite rhumatoïde3. Notre premier défi a été de faire en sorte que l’ordinateur détecte avec précision les articulations cibles dans l’image radiographique. Nous avons développé un algorithme utilisant un outil de pointe de détection d’objets, appelée « You Only Look Once » (YOLO), pour détecter des objets spécifiques à travers des images couramment vues dans la vie quotidienne. Nous avons ensuite peaufiné ce programme à partir d’un ensemble de données public de radiographies articulaires pédiatriques et validé l’outil de détection à l’aide de radiographies d’adultes obtenues auprès de patients suivis pendant jusqu’à 10 ans dans le cadre de la cohorte Manitoba Early Arthritis. L’outil de détection des articulations est capable de déterminer et d’étiqueter les articulations cibles avec une excellente précision dans des radiographies pédiatriques et adultes représentant une ou les deux mains. Notre deuxième défi consiste à faire en sorte que l’ordinateur « évalue » la présence d’un pincement de l’interligne articulaire et d’érosions dans les articulations cibles afin de calculer le score lésionnel de Sharp van der Heijde. Pour cela, nous avons utilisé des radiographies en série obtenues auprès de patients suivis dans le cadre de la cohorte CATCH (Canadian Early Arthritis Cohort) qui avaient été évaluées par la Dre Van der Heijde et son équipe. Ces radiographies sont considérées comme la « référence » pour l’attribution de scores de lésions articulaires.
À l’aide des radiographies CATCH, nous avons développé un algorithme utilisant des méthodes d’apprentissage automatique pour évaluer les articulations et l’avons combiné avec l’outil de détection des articulations. Nous avons comparé la précision de notre algorithme aux résultats obtenus avec différentes méthodes d’apprentissage automatique couramment utilisées. L’algorithme montre des résultats très encourageants et une bonne précision qui, dans certains cas, dépasse celle d’autres méthodes d’apprentissage automatique. Nous travaillons sur l’optimisation de l’algorithme pour renforcer l’apprentissage continu et ainsi améliorer les performances du modèle au fil du temps. Notre modèle devra être reproduit dans d’autres grands ensembles de données d’imagerie qui comprennent des radiographies de PR avec un large éventail de scores lésionnels. Notre algorithme a été conçu pour les radiographies de PR, et des études similaires dans d’autres arthropathies pouvant avoir des apparences radiographiques distinctes sont également nécessaires.
Le troisième défi consiste à développer une plateforme conviviale permettant aux clinicien(ne)s d’entrer une image radiographique et de recevoir des scores précis de lésions articulaires. Ces scores peuvent ensuite être utilisés pour surveiller les lésions articulaires des patients. Ce travail en cours est un exemple concret de la façon dont la technologie de l’IA peut soutenir la pratique clinique quotidienne en rhumatologie, en particulier dans les établissements où les ressources de radiologie sont limitées ou dans les centres de recherche où un score radiographique à haut volume est nécessaire.
L’IA a clairement le potentiel pour être un puissant outil clinique et de recherche qui, avec le temps, peut être intégré à la pratique clinique quotidienne pour améliorer le traitement ciblé des maladies rhumatismales. Cependant, il faut faire preuve de beaucoup de prudence et examiner attentivement les principes éthiques avant d’en généraliser l’usage2. Il est important de noter que l’IA ne remplacera jamais l’acuité clinique des rhumatologues.
Carol Hitchon, M.D., FRCPC
Professeure de médecine, Département de médecine interne, Université du Manitoba,, Winnipeg (Manitoba)
Liam O’Neil, M.D., FRCPC
Professeur adjoint, Département de médecine interne,
Université du Manitoba, Winnipeg (Manitoba)
Pingzhao Hu, Ph. D.
Professeur associé,
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada, Approches computationnelles de la recherche en santé (niveau 2),
Western University, London (Ontario)
Glossaire4 :
Intelligence artificielle : toute intelligence basée sur le raisonnement capable d’analyser des données et qui provient des systèmes informatiques.
Apprentissage automatique : sous-ensemble de l’IA où un ordinateur devient « plus intelligent » en « apprenant » de ses erreurs.
Réseaux neuronaux : style d’apprentissage automatique qui tente d’imiter la façon dont le cerveau humain fonctionne avec un vaste éventail de « neurones » qui s’activent ou non en fonction des données saisies.
1. Miao BY, Chen IY, Williams CYK, et coll. The MI-CLAIM-GEN checklist for generative artificial intelligence in health. Nat Med 2025 doi: 10.1038/s41591-024-03470-0 [Première publication en ligne : 06/02/2025]
2. Ning Y, Teixayavong S, Shang Y, et coll. Generative artificial intelligence and ethical considerations in health care: a scoping review and ethics checklist. Lancet Digit Health 2024;6(11):e848-e56. doi: 10.1016/s2589-7500(24)00143-2 [Première publication en ligne : 17/09/2024]
3. Hitchon C AIS, Fung D, Liu Q, Lac L, Bartlett S, Bessette L, Boire G, Bykerk V, Hazlewood G, Keystone E, Pope J, Schieir O, Thorne C, Tin D, Valois M, van der Heijde D, (CATCH) Investigators C, O'Neil L, Hu P. Artificial Intelligence Models for Computer-Assisted Joint Detection and Sharp-van Der Heijde Score Prediction in Hand Radiographs from Patients with Rheumatoid Arthritis [abstract]. Arthritis Rheumatol 2023;75 (suppl 9).
4. Blanchard KJ. Artificial Intelligence: How we got here Artificial Intelligence - Everything you need to know A360 Media LLC 2024.
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