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Printemps 2017 (volume 27, numéro 1)

Le joyeux guerrier

Par Philip A. Baer, M.D.,C.M., FRCPC, FACR

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« Qui est le joyeux guerrier? Qui est-il?
Que devrait être l'essence de tout homme portant les armes?
– C’est la générosité, qui dans les tâches de la vie réelle,
Dans le cadre du rêve qui nourrissait ses pensées puériles,
Dont les grandes réalisations sont la lumière intérieure qui illumine toujours son chemin,
Qui avec un instinct naturel discerne ce que le savoir peut accomplir, et ce qu’il doit apprendre,
Se plie à cette détermination et ne s’arrête pas,
Mais fait de son être moral son souci primordial. »

- William Wordsworth, « Character of the Happy Warrior », poème écrit à la suite du décès de Lord Nelson, héros de guerre britannique (traduction libre).


En consultant mes récentes chroniques ainsi que celles à venir pour le JSCR, j’ai noté un thème récurrent. Il semble que je me plains beaucoup, ces jours-ci, au sujet des difficultés liées aux sondages, aux paiements, aux engagements pour le repas du midi et aux pharmaciens de détail. Et pourtant, je m'épanouis dans mon travail et dans ma vie au quotidien. Exprimer mes frustrations me permet peut-être de demeurer positif. Comme le concept de « joyeux guerrier » a trouvé écho en moi, j’ai approfondi mes recherches à ce sujet.

Quoique le poème soit britannique, l’étiquette de « joyeux guerrier » est davantage liée à la politique présidentielle américaine. En 2006, le magazine The American Spectator a indiqué que Grover Cleveland « adorait le poème, prenait plaisir à le réciter à ses amis et souhaitait qu’on le lise à ses funérailles ». Franklin D. Roosevelt l’a utilisé dans un discours pour la nomination à l’investiture du gouverneur de l’État de New York, Al Smith, dans le cadre de la Convention nationale du parti démocrate en 1924. En octobre 2016, à New York, dans le cadre du souper caritatif Al Smith qui les mettait en vedette, les deux candidats à la présidence, M. Trump et Mme Clinton, ont tenté de faire un discours humoristique au sujet de leur adversaire respectif. Aucun d’entre eux n’a réussi à transmettre l’image d’un joyeux guerrier. La plupart du temps, cette étiquette est utilisée pour décrire les vice-présidents américains, d'Hubert Humphrey, dans les années 1960, à Joe Biden, encore tout récemment. Parmi d'autres personnalités auxquelles on a accolé ce sobriquet, on trouve le président actuel de la Chambre des représentants, Paul Ryan, et le regretté sénateur Ted Kennedy.

Un cabinet ou une clinique de rhumatologie n’est pas toujours un lieu où il fait bon être. On nous force à voir plus de patients, à ne pas faire trop attendre les patients pour obtenir un rendez-vous, à nous occuper de la paperasse ainsi qu’à gérer les interactions avec le personnel. On doit transmettre les mauvaises nouvelles de manière honnête tout en faisant preuve d’empathie qu’il s’agisse d’un diagnostic de lupus systémique chez une jeune femme ou d’une sclérodermie et d’une fibrose pulmonaire à évolution rapide chez un homme d’âge moyen.

Toutefois, bon nombre de nos interactions sont propres à la prise en charge de la maladie chronique : des patients stables qui se portent bien et qui exigent une réévaluation périodique de l’état clinique, la gestion des flambées intercurrentes et des affections concomitantes, les ajustements posologiques des médicaments et la surveillance des analyses de laboratoire et d’autres indices de l’activité de la maladie. Les visites peuvent être agréables pour toutes les parties visées, et le rire, comme meilleur remède, peut jouer son rôle. Quelques exemples me viennent en tête :

Une de mes patientes souffrant depuis longtemps de polyarthrite rhumatoïde, maintenant âgée de plus de 90 ans et vive d’esprit, vient toujours à mon cabinet avec sa fille. Je prenais son pouls qui était de 52 battements par minute, ce qui était tout à fait prévisible, car elle prenait un bêtabloquant. Elle m’a demandé de lui indiquer le résultat, puis en me regardant d’un air impassible, a dit à sa fille que son pouls était faible parce que « le médecin ne lui faisait aucun effet ». Alors, maintenant, même les nonagénaires se moquent de moi! Nous avons tous bien ri.

Un autre exemple est celui d'un jeune homme qui a commencé à venir me voir à 16 ans parce qu’il souffrait d’anémie, qu’il était de petite taille et qu'il avait des douleurs aux membres inférieurs depuis plusieurs années. En fait, il était atteint de spondylarthropathie juvénile, avec dommage aux hanches et épanchements récurrents aux genoux. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), la physiothérapie et les injections de stéroïdes dans les deux genoux ont été très efficaces. Quelques années plus tard, il est arrivé très enthousiaste à son rendez-vous. Il suivait des cours d’informatique au CEGEP et il m’a montré un de ses devoirs, une animation intitulée « L’aiguille magique ». Il m’a dit qu’il s'était inspiré de ses premières visites à mon cabinet et du soulagement qu’il avait éprouvé à la suite des injections intra-articulaires de stéroïdes. Le récit était fidèle à la réalité, mais j’ai remarqué qu’il avait changé mon nom et le sien, sans doute pour des raisons de confidentialité. C’est en revoyant l'animation que j'ai remarqué que je m’appelais maintenant Dr Cooper, et que je ressemblais à Sheldon Cooper de la série télévisée The Big Bang Theory. À ce moment-ci, je ne peux que me demander s'il s'agissait d'un commentaire sur mon intelligence et ma perspicacité diagnostique, ou sur mes aptitudes sociales ou mes manques dans ce domaine. J'en ris, mais je pense que je ne lui demanderai pas ce qu’il voulait vraiment dire.

La médecine est une affaire sérieuse. Par contre, il est possible de s’amuser au travail et d’être un joyeux guerrier. Toutefois, évitez d’afficher un large sourire lorsque vous enfoncez une aiguille dans les articulations d’un patient; les gens n’aiment pas vraiment cela.

Philip A. Baer, M.D., C.M., FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR
Scarborough (Ontario)

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