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Printemps 2016 (volume 26, numéro 1)

Le sondage a dit

Par Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR

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« L’opinion est quelque chose d’intermédiaire entre l’ignorance et la connaissance. »
- Platon, La République (titre original : Πολιτεία), ∼ 80 av. J.-C.


Tout le monde connaît bien cette expression du populaire jeu télévisé « La Guerre des Clans ». Et un autre adage populaire dit « Le temps, c’est de l’argent ». Depuis quelque temps, je constate qu’un nombre croissant de personnes sont prêtes à payer de l’argent pour mon temps. Pas des patients, pas des ministères de la santé, mais plutôt des spécialistes en études de marché. Des invitations s’insèrent régulièrement dans mes courriels, venant autant de personnes réelles qu’imaginaires. Laura Malett, chez Medefield, n’est pas une personne réelle, pas plus que Victoria chez Lead Physician (maintenant retraitée, il semblerait). Apparemment, fournir une femme fictive comme correspondante fait en sorte que vous êtes plus susceptible de répondre au sondage. Tout comme le fait de faire un don de charité entraîne des sollicitations d’autres œuvres, je constate que répondre à un sondage entraîne d’autres invitations à répondre à des sondages de partout à travers la planète. Malgré ma préférence pour recevoir de telles invitations exclusivement par courriel, je continue à recevoir des appels téléphoniques d’agents de recrutement; j’ai beau leur répéter systématiquement que les communications en ligne sont la seule forme acceptable à mes yeux, cela n’a aucun effet sur eux, comme c’est le cas avec la majorité des spécialistes en télémarketing.

Le recrutement pour certains sondages dépend des réponses à des questions de qualification. En général, on n’a aucune idée de ce qui nous qualifiera pour le véritable sondage. Toutefois, occasionnellement, il arrive que des agents de recrutement vous fassent parvenir par courriel les questions de qualifications dans un document qui indique aussi quelles réponses vous excluraient d’être envisagé comme candidat. D’après ce que j’ai pu voir, consacrer moins que 75 % de son temps à la pratique clinique et avoir été en pratique depuis moins de 3 ans ou plus de 35 ans sont des critères d’exclusion assez typiques. Une responsable du recrutement m’a fait part de leurs difficultés à trouver des candidats pour un sondage en particulier. Il s’est avéré qu’ils cherchaient des médecins qui essaient trois agents anti-TNF ou plus pour leurs patients atteints de PR avant de passer à un médicament avec un autre mode d’action. Je lui ai dit que je ne pratiquais pas de cette façon et que j’étais assez certain qu’elle aurait effectivement de la difficulté à trouver de tels candidats.

Une autre situation relativement courante de nos jours est de recevoir des invitations à répondre au même sondage de plusieurs sources : Medefield, PSL Group, Glocalmind, M-panels, OMR Globus, MPI Research, MD Analytics, 42 Market Research, Innomar, HAB Community, SERMO, Consumer Vision, CRC Research, MNOW, MedePanel et Tendler Group sont tous des noms familiers dans ma boîte de courriels.

En général, l’un d’eux est effectivement le véritable initiateur du sondage. Les autres sont des agents de recrutement qui, de toute évidence, prélèvent leur part des honoraires offerts pour le sondage. Certains sont plus gourmands que d’autres. Par exemple, j’ai déjà reçu des offres pour répondre à un sondage pour 150 $, et ensuite une invitation d’un agent de recrutement pour répondre au même sondage pour 75 $. En général, sauter sur la première offre pour répondre à un sondage est une erreur puisque, au fil du temps, lorsque l’échéance de recrutement approche, les primes de sondage augmentent. Comme c’est le cas lors de l’achat d’un billet d’avion ou de concert, une fois que vous avez répondu au sondage Y pour le montant X, vous ne pouvez plus demander la prime plus élevée par la suite. Des remords de l’acheteur s’ensuivent. D’un autre côté, un sondage mal coté offrant une prime élevée devrait être accepté immédiatement : les rares offres de 150 $ pour 15 minutes de travail ne durent pas longtemps.

Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas surprenant de voir que certains sondages terminent maintenant en demandant si vous croyez avoir répondu à ce sondage une ou plus qu’une fois récemment. Je n’ai pas la patience pour répondre au même sondage deux fois. Mais je me suis souvent demandé ce qui arriverait si quelqu’un admettait qu’il pensait avoir répondu au même sondage plus qu’une fois. Est-ce que cela les disqualifierait pour le paiement, même s’ils ont répondu au sondage en entier?

Les sondages peuvent être intéressants. On apprend quels nouveaux produits sont sur le point d’arriver sur le marché et ce que leurs messages seront. Critiquer les concepts publicitaires peut représenter une source de défis... et aussi d’amusement. Les sondages en personne nécessitent des déplacements, mais vous évitez d’avoir à cocher de multiples petites cases abrutissantes sur un écran d’ordinateur, comme c’est souvent requis pour les sondages en ligne.

J’ai certaines préférences et certaines aversions à l’égard des sondages en ligne. Par exemple, je veux une barre de statut réaliste qui me donne une idée de ma progression. Il peut être décourageant de travailler pendant 20 minutes et découvrir que vous n’avez complété que 20 % d’un sondage qui devait vous prendre 30 minutes. Souvent, dans une telle situation, à un moment donné, vous passez spontanément de 30 % à 90 % comme par magie. J’aime aussi voir un sondage qui démontre certains signes d’intelligence de la part de l’équipe de TI dans la conception. Si on me demande de répartir mon utilisation de différents agents entre neuf choix totalisant 100 % et que mes quatre premiers choix totalisent 100 %, s’il vous plaît, ne me demandez pas d’inscrire manuellement des zéros dans les autres cases. Certaines équipes de conception de sondage saisissent cela; pour d’autres, cela semble impossible. La conception de certains sondages est plutôt impressionnante. Si vous passez à travers trop rapidement, une fenêtre s’affiche indiquant que vous n’avez peut-être pas suffisamment réfléchi à vos réponses. « Aimeriez-vous reconsidérer votre réponse? » Parfois, il y a de simples questions d’arithmétique intercalées entre les vraies questions. Je présume que cela leur assure que c’est bien un véritable rhumatologue, et non pas un rhu-robot, qui répond au sondage. La même question pourrait aussi être posée de nouveau avec l’échelle de réponse inversée pour vérifier que vous êtes bien attentif.

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Les sondages qui reflètent le véritable monde de la rhumatologie sont préférables. Par exemple, je classe mes patients atteints de PR comme étant en rémission ou présentant une activité de la maladie faible, modérée ou élevée. Cependant, tous les sondages sans exception me demandent combien j’ai de patients atteints de PR légère, modérée ou grave. Les sondages sur l’APs ont souvent une catégorie pour ARMM et une autre pour « traitement conventionnel »; je ne sais pas encore ce qu’ils veulent dire par ce deuxième choix.

D’autres questions fréquentes auxquelles je ne sais vraiment pas comment répondre sont combien j’ai de patients atteints de chacune des maladies rhumatismales courantes dans ma pratique ou combien j’en ai vu au cours de la dernière semaine, du dernier mois ou des trois derniers mois.

J’ai récemment eu une grande révélation à ce propos lorsqu’on m’a demandé de répondre à un sondage pilote et de fournir mes commentaires aux concepteurs du sondage qui écoutaient. Celui-là s’est avéré être un des plus mal conçus de tous les sondages que j’avais vus, avec une interminable suite d’écrans de menus déroulants et de cases à cliquer nécessitant, selon mes calculs, plus de 500 clics de souris pour passer à travers la partie principale du sondage. J’ai dit aux concepteurs que j’utilisais un écran de 25 pouces et que je ne pouvais toujours pas voir la feuille de sondage en entier sur mon écran. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu une invitation à répondre au sondage de 30 minutes pour 90 $. Dès le départ, j’ai bien vu qu’aucun de mes commentaires n’avait été pris en considération et que le sondage allait assurément prendre plus que 30 minutes. Heureusement, j’avais été beaucoup mieux rémunéré pour critiquer la version pilote et me sentais parfaitement à l’aise de fermer le sondage sans y avoir répondu.

Les sondages en personne comportent leurs propres défis. Je n’ai aucune objection à ce qu’il y ait un enregistrement audio ou vidéo de la séance ou que des gens m’observent de derrière un faux miroir. Cependant, je vous en prie, ne venez pas me demander à quel modèle de voiture chaque agent biologique me fait penser ou quelle personnalité aurait un certain agent biologique s’il était une personne qui entre dans une pièce. L’utilité de ce type de questions m’échappe complètement. Pourtant, elles semblent être un incontournable pour tous les spécialistes en étude de marché.

Se faire payer pour des sondages faits par courriel pourrait être le sujet de son propre éditorial. Puisque Laura et Victoria sont des personnes fictives, leur écrire ne donne généralement pas beaucoup de résultats. Souvent, les chèques éventuellement reçus ne contiennent aucune information les reliant à un sondage en particulier, de sorte qu’il est futile de tenir une liste des sondages auxquels on a répondu.

Finalement, je dois parler des sondages auxquels on nous demande de répondre gratuitement. Évidemment, si vous recevez un sondage de la SCR, du JSCR ou d’une association provinciale de rhumatologie, vous devriez y répondre en priorité. Cependant, il y a une limite à ma volonté à répondre à chaque sondage de candidats aspirant à une maîtrise ou un doctorat qui ne prendra que « 30 minutes de mon temps » et mènera à « un enrichissement inestimable des connaissances humaines ». Leçon de psychologie comportementale : offrez quelque chose, que ce soit une chance de gagner une carte-cadeau dans un café-restaurant ou un don de 2 $ à La Société de l’arthrite, et votre taux de réponse s’améliorera. Le temps est de l’argent et il y a une concurrence féroce pour mon temps en ce moment.

Philip A. Baer, MDCM, FRCPC, FACR
Rédacteur en chef, JSCR
Scarborough (Ontario)

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