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Été 2016 (volume 26, numéro 2)

Chercheur émérite :
le Dr Proton Rahman

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Nos sources nous indiquent que Proton n’est en fait pas votre nom de naissance. Quelle est l’origine de ce sobriquet?
Finalement, il s’est avéré que mon surnom a été ma caractéristique la plus distinctive. Je ne suis pas absolument certain de l’origine exacte de « Proton », car j’ai entendu différentes versions de cette histoire de mes
parents. Ce qui est toutefois très clair, c’est que ma mère a commencé à m’appeler ainsi alors que je n’étais qu’un bébé. Je suis né à Toronto, un an après l’arrivée de mes parents au Canada du Bangladesh. Ma mère ne parlait que très peu l’anglais à ma naissance. Apparemment, elle a aimé comment ce mot sonnait à l’oreille lorsqu’elle a entendu mon père, un ingénieur en électricité, le lire à haute voix un jour. Mon père en a été amusé, alors ma mère a continué à m’appeler Proton. (Je tiens à préciser que le nom de ma sœur est Diana et celui de mon frère est Adam.)

Vous avez passé les quelques dernières années à étudier l’épigénétique de la spondylarthrite et l’identification de gènes par le biais des approches de séquençage de nouvelle génération. Quelles sont les principales percées que vous avez eues dans vos recherches?
Pour être parfaitement honnête, je ne suis pas tout à fait à l’aise avec le mot « percée » pour parler de mon travail. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai systématiquement évalué certaines technologies génomiques émergentes en contexte de maladies rhumatismales. Ce faisant, j’ai été en mesure de contribuer à une meilleure compréhension de la façon dont des variantes génétiques courantes et rares et des modifications post-traductionnelles (c.-à-d. des variations épigénétiques) peuvent avoir des répercussions potentielles sur nos maladies. Ce sont des concepts en évolution dont la véritable pertinence et l’impact se révéleront dans les prochaines années.

Quelle a été votre première pensée en apprenant que vous alliez recevoir ce prix?
Je me dépêchais pour me rendre à une réunion sur une rue achalandée lorsqu’on m’a annoncé la nouvelle. J’ai poliment dit « merci » et j’ai poursuivi mon chemin. Il a fallu quelques secondes pour que l’ampleur de ce qui venait de se produire atteigne mon cerveau, mais alors un grand sourire s’est affiché sur ma mon visage. Une fois arrivé à destination, j’ai commencé à vraiment réfléchir à la situation. J’étais, et je suis toujours, très honoré et touché de recevoir ce prix. Je suis très conscient du calibre de chercheurs exceptionnels qu’on retrouve au Canada et des grandes réalisations des gagnants antérieurs. À un certain stade de ma carrière, être considéré parmi les plus grands chercheurs aurait été très satisfaisant. En réalité, gagner ce prix a surpassé toutes mes attentes.

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Nul besoin de poursuivre les recherches : le Dr Proton Rahman a reçu son prix du Dr Vinod Chandran et du Dr Cory Baillie.

En 2002, vous étiez le « Jeune chercheur » de la SCR. À l’époque, vous aviez mentionné une certaine appréhension à propos de plus grandes choses encore à venir dans le futur. Que dites-vous de cet énoncé aujourd’hui? Quels changements sont venus avec le passage des années et quels changements restent encore à venir?
Le début de tout projet de recherche peut être très intimidant. J’ai été chanceux de recevoir le prix du Jeune chercheur de la SCR après trois années comme chercheur indépendant. Même si le potentiel pour une carrière réussie pouvait être là, il y avait un certain degré d’incertitude à l’égard de la progression des choses. Le plus grand facteur de stress pour un chercheur est la nécessité de se tracer un chemin qui lui permettra de soutenir le financement de ses recherches. C’est particulièrement vrai pour la recherche en génétique où entreprendre des études est intrinsèquement coûteux, compte tenu du coût élevé de la collecte de données sur les familles, l’achat de puces et l’achat de plateformes génomiques à haut débit. J’ai été très chanceux de bénéficier d’un salaire opportun et d’un soutien fonctionnel de la Société de l’arthrite et des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) pour établir mon programme et développer des partenariats stratégiques. Cela m’a permis d’atteindre mes objectifs initiaux et de mettre mon pied dans la porte en tant que chercheur établi. Même si le financement demeure mon plus grand défi, 15 années d’expérience en recherche active sont maintenant là pour me rassurer et m’apaiser. Je suis maintenant beaucoup plus confiant à propos de ma contribution et de la meilleure façon de procéder.

Comment vos recherches influencent-elles les soins cliniques aux patients? Qu’êtes-vous en mesure de traduire du laboratoire de recherche à la salle d’examen?
Une caractéristique très particulière de notre laboratoire est la création d’un laboratoire de recherche translationnelle. Cela est possiblement une première au Canada; notre laboratoire clinique, Eastern Health, et notre laboratoire de recherche se partagent des plateformes et ressources communes. Ainsi, les résultats de notre laboratoire de recherche sont obtenus conformément à une norme telle qu’ils peuvent ensuite être introduits sur le plan clinique.

Maintenant, avec l’avènement du séquençage de l’exome, nous identifions régulièrement des mutations privées rares chez nos familles présentant une maladie auto-immune qui ont été importantes pour diagnostiquer, établir un pronostic et mettre en œuvre des stratégies de traitement. Cela fut très gratifiant. J’ai également participé au développement d’un nouveau test de dépistage pour la spondylarthrite axiale que j’espère voir surpasser le test conventionnel de l’allèle HLA-B27 en termes de coûts et de spécificité.

Y a-t-il d’autres domaines d’intérêt que vous aimeriez explorer dans le futur? Quels projets prévoyez-vous entreprendre cette année?
C’est une période excitante pour mon laboratoire, maintenant que nous avons établi des installations génomiques de pointe dotées de multiples technologies « omiques », une infrastructure computationnelle haute performance de type IBM et un solide soutien bio-informatique. Cela nous a ouvert la porte à une approche inter-omique incluant des interrogations génomiques, transcriptomiques et épigénomiques. Je tente également d’entreprendre la liaison de ces données à des banques de données de patients dépersonnalisés.

À l’heure actuelle, nous mettons l’emphase sur la préparation de la communauté de rhumatologie en vue du changement de paradigme qui surviendra sans doute en conséquence de la médecine de précision et de la santé publique de précision. J’espère contribuer à redéfinir la maladie rhumatismale autoimmune avec l’inclusion de variantes génomiques aux caractéristiques cliniques et sérologiques. L’utilisation des technologies génomiques pour l’identification précoce, l’établissement du pronostic de la maladie et un meilleur ciblage thérapeutique basé sur les profils génétiques des patients est d’une grande importance. Je veux aussi aider à cibler certaines populations à risque pour le développement d’une maladie autoimmune et tenter de prévenir ou de modifier l’évolution naturelle de la maladie en changeant le déclencheur environnemental potentiel.

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Un moment jovial au souper gala de l’ASA de la SCR. 

Si vous pouviez choisir un âge auquel vous pourriez rester pour toujours, quel âge choisiriez-vous?
J’arrêterais le temps maintenant. Je ne pourrais espérer être plus heureux qu’en ce moment. J’ai la chance d’avoir une femme incroyable et de merveilleux enfants qui sont toujours à la maison. Tous nos parents, les miens et ceux de ma femme, vivent dans la même ville que nous et sont des septuagénaires en bonne santé. Tout va bien pour mon frère et ma sœur. J’ai enfin un sentiment de sécurité financière et de fierté à l’égard de mon travail. Dommage que tout finisse toujours par changer...

Vous êtes la cinquième personne à recevoir les prix du Jeune chercheur et du Chercheur émérite de la SCR. Quels traits communs voyez-vous chez les chercheurs qui réussissent bien?
Tout d’abord, un amour de la science! Cela étant dit, la curiosité scientifique ne suffit pas. Un feu doit brûler dans vos entrailles et vous devez être prêt à faire tout un sacrifice. La recherche envahit définitivement votre vie personnelle et vos tâches cliniques. Pour cette raison, il vous faut aussi le soutien de votre famille et des collègues enthousiastes qui appuieront vos projets. Je suis très chanceux d’avoir les deux.

Il y a également un autre aspect, qui n’est évidemment que mon opinion : le succès antérieur mène au succès futur. Dans l’environnement actuel du financement, un historique de financement soutenu et de productivité est essentiel. La recherche indépendante nécessite du financement et c’est là le plus gros défi à relever pour maintenir un programme de recherche à long terme. Pour cette raison, malheureusement, vous avez moins de chance de voir émerger des cliniciens chercheurs en mi-carrière. Je m’attends donc à ce que cette tendance selon laquelle on retrouve les gagnants du prix du jeune chercheur en nomination pour le prix du chercheur émérite (surtout compte tenu de la performance des jeunes chercheurs de nos jours) se maintienne.

Vos efforts pour établir la Base de données généalogiques de Terre-Neuve ont façonné le paysage de la recherche en santé. Quel rôle joue Terre-Neuve dans votre succès? Auriez-vous pu envisager d’entreprendre ce projet de recherche ailleurs au Canada?
La population fondatrice de Terre-Neuve a grandement contribué à mon succès. J’ai délibérément investi temps et ressources pour mieux caractériser l’architecture génétique de notre population et ses avantages potentiels pour les études génétiques sur la maladie rhumatismale ainsi que d’autres maladies complexes. Cela nous a permis de recueillir stratégiquement des échantillons informatifs qui ont contribué à l’identification de variantes génétiques dans de multiples maladies rhumatismales auto-immunes. Je suis par ailleurs déterminé à faire croître la réputation de Terre-Neuve pour l’innovation et à apporter des contributions significatives au succès de la province en ce qui a trait à la Recherche et au développement et au rendement économique. Nos recherches pourraient se faire ailleurs, mais l’emphase sur la population fondatrice en serait alors exclue. Si j’étais basé dans un grand centre urbain, l’emphase aurait été sur la collecte d’un échantillon d’envergure et l’étude de l’impact de la diversité ethnique sur l’association génétique. D’une façon ou d’une autre, je crois qu’il est très important de comprendre l’architecture d’une population.

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Que croyez-vous être les qualités d’un chercheur émérite? Et comment croyez-vous qu’elles s’appliquent à vous?
Leurs qualités comprennent notamment la curiosité scientifique, la détermination, l’adaptabilité et les compétences de gestion. Vous devez avoir une bonne compréhension de la médecine en générale et une connaissance approfondie de votre domaine scientifique. Comme de nouveaux renseignements font constamment surface, il est essentiel d’évaluer rigoureusement ces études. Avoir de bonnes connaissances de fond n’est pas nécessairement suffisant. Pour générer de nouvelles données, l’étape suivante est de remettre en question les théories ou perceptions existantes. Vous devez faire preuve de patience envers votre personnel et vos étudiants, puisqu’une forte part du travail reposera en fait sur eux. Des erreurs sont inévitables, mais vous devez leur inspirer suffisamment de confiance pour qu’ils n’hésitent pas à vous en faire part le cas échéant afin de préserver l’intégrité des données. Vous devez alors vous adapter à ces erreurs sans perdre votre concentration. Et enfin, vous devez avoir d’excellentes aptitudes en gestion, en affaires et en communication. À de nombreux égards, lorsque 20 à 30 employés/
étudiants travaillent pour vous, vous êtes essentiellement à la tête d’une entreprise. Vous devez avoir une vision claire, bien interagir avec les gens, être juste et accommodant et communiquer vos messages de façon limpide et uniforme, tout en vous abstenant d’être intimidant. Je ne suis pas certain de posséder tous les traits recherchés, mais j’ai appris à compenser ce qui manque par une grande transparence et un travail acharné.

Vous avez été le mentor de certains des nouveaux noms qui se font maintenant connaître en rhumatologie au Canada. Comment vos propres mentors ont-ils influencé votre cheminement de carrière et vos intérêts en recherche?
Mes mentors continuent à jouer un rôle important dans ma carrière. Le Dr David Murray, un néphrologue à l’Université Memorial, a toujours soutenu mon potentiel, de sorte que mon expérience en faculté de médecine et en résidence a été très positive. La Dre Dafna Gladman m’a fait découvrir la recherche, m’a aidé avec le financement (incluant une brève période où je n’avais aucun financement en tant que boursier et, comme par magie, de l’argent est apparu par sa main) et m’a appris la patience, la rigueur scientifique et l’importance de compléter tout projet entrepris, indépendamment de son potentiel de publication. Le mentorat, les liens de confiance et les amitiés ont certainement fait progresser ma carrière plus rapidement. Peu de temps après, j’ai croisé le Dr Robert Inman grâce à un intérêt commun pour la spondylarthrite et il a été une influence calmante et motivante sur ma carrière. J’ai également eu la chance de recevoir des conseils opportuns de la Dre Janet Pope, du Dr Ed Keystone et du Dr Art Bookman, tous des personnes que j’admire et respecte immensément.

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Un discours passionné sur l’importance de la recherche d’enquête.

Des expériences personnelles avec l’arthrite ont mené à votre intérêt pour la rhumatologie. Avec le recul, quels ont été les aspects les plus gratifiants de votre choix d’aller vers la rhumatologie et quels ont été quelques-uns des aspects les plus difficiles?
Le regretté Dr David Hawkins (ancien doyen de la Faculté de médecine de l’Université Memorial et confrère rhumatologue) m’a encouragé à étudier en rhumatologie. Avec le recul, je réalise que c’est le meilleur des conseils qui m’ont été donnés. La rhumatologie a été une carrière très satisfaisante et je ne peux m’imaginer pratiquer aucune autre discipline. Mon lien particulier avec cette discipline vient de mon combat avec une affection rhumatismale inflammatoire chronique depuis l’âge de 16 ans. Les précieuses connaissances que j’ai acquises en tant que patient sont, dans une certaine mesure, impossibles à enseigner et m’inspirent une détermination à aider ceux qui souffrent de douleurs musculosquelettiques. Cela m’a poussé à toujours mettre mes patients en premier quand cela était possible, sacrifiant parfois même mes ambitions sur le plan de la recherche. Depuis que je suis arrivé à Terre-Neuve, les gens me demandent souvent pourquoi je reste dans cette province, suggérant que « c’est beaucoup trop occupé, surtout compte tenu de vos recherches. » Je leur réponds que c’est exactement pour cette raison que je reste. Je commence la plupart de mes jours de clinique avec des patients qui me demandent « Docteur Proton, comment allez-vous aujourd’hui? »

Proton Rahman, M.D., FRCPC
Doyen associé,
Recherche clinique,
Professeur de médecine (rhumatologie),
Université Memorial
St. John’s (Terre-Neuve)

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