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Printemps 2015 (volume 25, numéro 1)

Historique de la rhumatologie
au Québec

par Jean-Yves Lang, M.D., CSPQ

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Il est pratiquement impossible de retracer avec précision les débuts de la rhumatologie au Québec. Il est fort probable qu’il y ait eu un lien étroit avec ce qui se passait ailleurs au Canada, plus précisément au Toronto General Hospital (TGH), après la Première Guerre mondiale, où d’abord Almon Fletcher (1890-1965) et, par la suite, Wallace Graham (1906-1962) concentrèrent tous leurs efforts au service des malades affligés de troubles articulaires.

Selon mes recherches, c’est vers 1936 que Douglas Taylor, interniste affilié à l’Université McGill, aurait contribué avec Fletcher à la création de la Canadian Rheumatism Disease Association (CRDA) de laquelle il aurait été élu président en 1938. On sait que Taylor s’intéressait à l’arthrite grâce à l’une de ses publications parue dans Annals of Internal Medicine au sujet d’observations radiologiques de diverses formes d’arthrite chronique1.

Après la Deuxième Guerre mondiale, vers 1947-48, la Société canadienne contre l’arthrite et le rhumatisme (SCAR) fut incorporée. On peut lire dans son manifeste les noms, entre autres, de deux médecins montréalais, soit les Drs René Dandurand et John S. L. Brown, à titre de directeurs2. Un des principaux objectifs de la SCAR était alors de favoriser des stages de perfectionnement (fellowships) afin d’accroître les effectifs en rhumatologie et ainsi améliorer les opportunités de traitements destinés aux arthritiques. À Toronto, le vœu le plus cher du Dr Metro Ogryzlo, successeur du Dr W. Graham décédé prématurément en 1962 à l’âge de 56 ans, était de créer des Unités de maladies rhumatismales (UMR/RDU) dans toutes les facultés de médecine du Canada par l’entremise de la SCAR3.

Le Dr Dandurand (1906-1949) de l’Hôtel-Dieu de Montréal possédait, à cette époque, tous les atouts pour devenir l’un des pères de la rhumatologie québécoise en vertu d’une formation de deux ans à Paris dans le domaine de l’arthrite suivie d’un autre stage aux États-Unis sur le même thème. Il décéda tragiquement le 9 octobre 1949 dans un accident d’avion.

C’est vers 1947, à Montréal, qu’un regroupement de médecins francophones et anglophones créa une section « rhumatologie » au sein d’une société médico-chirurgicale. C’est lors de l’une de ces rencontres qu’aurait été conçue, en 1965, la Conférence laurentienne de rhumatologie qui s’est tenue sur une base annuelle pendant cinq ans. Après un bref hiatus (cinq ans), la conférence eut lieu à nouveau en 1974. Elle se tiendra par la suite sur une base régulière, ressuscitée par les efforts combinés des Drs André Lussier et Roger Demers.

La contribution du Dr De Guise Vaillancourt (1921-2000) nous apparaît également digne de mention. Diplômé de médecine en 1947, il étudia la rhumatologie à Boston et New York et s’installa à l’Hôtel-Dieu de Montréal comme interniste et rhumatologue. À la même époque, en 1947, le Dr Maurice Campbell (1919-2014), pratiquant la médecine générale au Cap-de-la-Madeleine, opta pour une spécialisation en médecine interne et en rhumatologie, faisant ses stages à l’Hôtel-Dieu de Montréal. Il retournera pratiquer la rhumatologie à Trois-Rivières en 1955 jusqu’à la fin d’une longue carrière exemplaire.

C’est en 1969 que le Dr André Lussier, fort d’une formation en rhumatologie acquise quelques années plus tôt à Philadelphie (dans l’un des centres les plus prestigieux des États-Unis), sous la direction de
J. L. Hollander, fonda la première Unité de maladies rhumatismales (UMR) québécoise au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS). L’année suivante, il présentait au Collège des médecins du Québec (CMQ) un mémoire pour la reconnaissance officielle de la rhumatologie à titre de spécialité de la médecine interne4. Pour ces raisons, d’aucuns n’hésitent à attribuer au Dr Lussier le titre de
« père de la rhumatologie québécoise ».

C’est aussi en 1970 que tous les médecins du Québec possédant un intérêt et une compétence en rhumatologie avant l’institution du programme de formation reçurent le diplôme de rhumatologue selon une clause grand-père. Au CHUS, le Dr Daniel Myhal, formé en Écosse, s’associa au Dr Lussier et contribuait ainsi à instaurer la première génération de rhumatologues. Les deux premiers diplômés en rhumatologie au Québec furent les Drs Monique Camerlain et
Henri Ménard en 1973.

En 1975, l’UMR de l’Université de Montréal fut inaugurée; le Dr Guy Germain de l’Hôpital Notre-Dame est alors directeur, assisté par les
Drs Jacques Gascon et Alain Prat. On doit souligner son association avec l’Hôtel-Dieu de Montréal, dont les Drs Jacques Durivage, J. A. Blais, De Guise Vaillancourt et Roger Demers, tous formés en rhumatologie aux États-Unis ou en Europe. Il faut également mentionner la participation de l’Hôpital Saint-Luc par l’entremise des Drs Murat Kaludi et Claude Blondin.

C’est aussi vers 1975 que la RDU de l’Université McGill fut officialisée avec le Dr Kirk Osterland de l’Hôpital Royal Victoria comme directeur, flanqué des Drs Louis Johnson, Cooper Stacey et Doug Kinsella. Ils purent compter sur l’aide des rhumatologues de l’Hôpital général de Montréal, dont John Martin, David Hawkins et, plus tard, Hyman Tannenbaum et John Esdaile, entre autres. Enfin, à l’Hôpital général juif, les Drs Lyon Lapin, Morton Kapusta et Murray Baron accomplirent également leur mission.

La dernière UMR créée au Canada, en 1976, fut celle de l’Université Laval à Québec. Le Dr Lucien Latulippe fut nommé directeur, assisté par le Dr Jean Rousseau et moi-même.

Au début du XXe siècle, la rhumatologie était méconnue, ignorée et considérée comme non prioritaire dans la majorité des universités à travers le monde occidental. Par pure ignorance, on croyait sincèrement qu’il n’y avait rien à offrir aux arthritiques; l’enseignement de la rhumatologie était donc déficitaire. Toutefois, la triple vocation des UMR/RDU (soins, recherche et enseignement) permit la formation d’une relève de très grande qualité.

En 1970, on comptait environ 25 rhumatologues au Québec, la majorité étant des internistes et des physiatres qui s’étaient prévalus de la clause grand-père avant la certification. En 2015, on en dénombre maintenant plus d’une centaine. Depuis l’avènement des biothérapies au début des années 2000, un grand pas a été franchi dans la lutte contre l’arthrite. Espérons que cela continue.

Références :

1. Taylor GD, et coll. Roentgenologic observations on various types of chronic arthritis. Ann Intern Med 1936; 1(7):979-98.

2. Graham KM. Origins and early beginnings of the Canadian Arthritis Society and the first rheumatic disease units. J Rheumatol 2000 Jul; 27(7):1592-8.

3. Gordon D, Smythe H. La vie et l’héritage de Metro Ogryzlo. JSCR 2007; 17(2): 4-5.

4. Ménard H. À la mémoire de…André Lussier. JSCR 2009; 19(3):17.

Je tiens à remercier sincèrement les Drs Guy Germain, Claude Blondin, Carol-Anne Yeadon et Henri Ménard pour avoir puisé dans leurs souvenirs et m’avoir ainsi communiqué des noms ou des faits pertinents à la rédaction de ce texte que je souhaite le plus près possible de la réalité.

Jean-Yves Lang, M.D., CSPQ
Rhumatologue à la retraite
UMR du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL) de 1974 à 2012
Québec, Québec

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