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Automne 2015 (volume 25, numéro 3)

Douleur, compassion et
communication motivationnelle

par Monique Camerlain, M.D., FRCPC,
May Shawi, Ph.D. et Denis Faucher, M.Sc.

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Le 6 février 2015, lors de l’Assemblée de la SCR à Québec, la Dre Monique Camerlain et la Dre Kim Lavoie ont présenté un symposium sur la communication motivationnelle illustrant comment de telles compétences peuvent améliorer l’observance des patients, leur satisfaction et l’issue du traitement1.

L’expérience de la douleur est accablante pour la personne entière2; la communication motivationnelle basée sur la compassion (du latin com et pati, qui signifie « souffrir avec ») est fondamentale pour trouver des solutions selon une approche gagnant-gagnant pour améliorer les soins au patient3. Les publications scientifiques démontrent que de 50 % à 80 % de l’information transmise par un professionnel de la santé durant une consultation médicale est immédiatement oubliée par le patient et que la moitié de l’information retenue est déformée. Le problème est encore plus important chez les personnes âgées, les personnes anxieuses et celles qui ont peur de recevoir de mauvaises nouvelles. De 30 % à 80 % des attentes des patients ne sont pas satisfaites lors des consultations en soins primaires alors que les différences sur le plan des priorités et des attentes ne sont souvent pas réconciliées4.

Comme le mentionnait Doheny en 2014 lors d’une conférence sur la compassion dans les soins de la santé, différentes études suggèrent que la compassion aide les patients à ressentir moins de douleur et d’anxiété5; pourtant, seulement 12 % des patients disent que leurs médecins leur ont donné une raison d’espérer6. Il serait important d’améliorer la communication entre médecin et patient pour cerner et enrayer les problèmes qui nuisent aux communications afin de combler cet écart et d’établir une relation Je-Tu telle que décrite par Martin Buber7.

Les médecins, en tant que communicateurs, ont généralement une culture d’école supérieure et d’apprentissage, utilisent la terminologie réglementaire et un langage abstrait, accordant par le fait même une haute importance au modèle hypothético-déductif de raisonnement et à l’utilisation de matériel imprimé et de technologie. Les personnes moins scolarisées ont une éducation de base et apprennent par leurs expériences de vie. Ces personnes recherchent des preuves de sollicitude et préfèrent un langage pratique, simple et concret ainsi que l’information verbale et visuelle. Ce dépareillement du cadre d’information peut être la cause d’une défaillance des communications médecin-patient et devrait être une source de préoccupation pour tous ceux qui favorisent une approche humaniste dans les soins de la santé. Notre objectif et défi est d’atteindre un équilibre entre l’art de la communication compatissante et la déduction fondée sur les données probantes. Le but de la communication motivationnelle est d’ouvrir la porte à une « conversation sur le changement » afin de résoudre l’ambivalence du patient à l’égard du changement. Ce n’est pas une tentative de déception et ce n’est pas non plus une technique unique.

La communication basée sur la compassion : comment elle aide
Selon un sondage mené en 1996, 90 millions d’Américains ont des problèmes d'alphabétisation significatifs8; au Canada, on parle d’environ 48 % de la population. L’incapacité à détecter les faibles niveaux de littératie en santé coûte 93 milliards de dollars par année au système de santé américain, mettant la santé d’une personne sur trois à risque8. La littératie en santé fait référence à la capacité à lire et comprendre l’information médicale et à agir en conséquence9.

Les personnes qui ont une faible littératie en santé ne sont pas en mesure de bien lire les formulaires de consentement, les étiquettes de médicaments, l’information insérée dans les emballages ou les renseignements relatifs aux rendez-vous. Elles peuvent avoir de la difficulté à comprendre l’information relative à la santé pour des raisons variées, notamment l’alphabétisation, l’âge, l’invalidité, la langue et l’émotion.

Les problèmes d’alphabétisation sont difficiles à détecter parce que les patients qui peinent à comprendre l’information écrite et verbale ont souvent honte de ce problème et le cache à tout le monde, y compris leur médecin. Les faibles niveaux de littératie en santé peuvent toucher les gens de tous les milieux, mais les personnes âgées, les minorités et les personnes à faibles revenus sont plus à risque. Ces personnes sont plus à risque de souffrir de maladies chroniques et ont moins de chances d’obtenir les soins dont elles ont besoin. De nombreuses études ont démontré qu’il est plus probable qu’elles soient hospitalisées et aient besoin de soins d’urgence. Elles ont de moins bonnes habitudes en matière de santé et sont moins susceptibles d’adopter des stratégies préventives pour éviter la maladie10.

Pour améliorer les communications et motiver les patients dans la prise en charge de maladies chroniques, il convient d’insister sur l’importance de la compassion7. L’adoption du rôle de communication doit respecter les schémas motivationnels et les stades du changement. Il se doit d’être flexible et de tenir compte du patient globalement, de ses attentes et de son niveau de littératie en santé, car il n’y a pas qu’une seule bonne façon d’approcher les patients.

La motivation est une force énergisante qui maintient et contrôle le comportement humain. Pour provoquer un changement d’attitude et de comportement, il convient de considérer l’existence d’un continuum entre les motivateurs internes qui créent une force derrière le comportement humain selon un locus de contrôle interne et les motivateurs externes basés sur un locus de contrôle externe11. Deci et Ryan suggèrent que le procédé interne de motivation serait plus susceptible de produire un effet durable que le procédé externe. Selon eux, le sentiment d’être capable d’accomplir des tâches pour atteindre un but et la capacité d’auto-réglementer son propre comportement sont le fondement de l’autonomie et de l’autodétermination. Ce sentiment d’autodétermination pousserait les individus à faire les efforts nécessaires pour atteindre un but, même dans des situations où les interventions externes sont minimales, voire inexistantes12.

Prochaska et ses collègues ont aussi décrit différents stades susceptibles d’influencer les conditions du changement dans leur modèle transthéorique. Selon leur vision des choses, les gens doivent traverser plusieurs phases, notamment : la pré-contemplation, la contemplation, la préparation, l’action et le maintien13. Ceci a été documenté chez 103 patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) et 74 patients atteints d’ostéoarthrite (OA) : 44 % étaient en phase de pré-contemplation, 11 % en phase de contemplation, 22 % en phase de préparation, 6 % en phase d’action et 17 % en phase de maintien14.

Il importe toutefois de se rappeler que nos patients sont de la génération des émissions d’infovariétés et des livres d’autoréalisation. Ils veulent « prendre le micro » et ils estiment que ce qu’ils ont à dire est très important9. Une étude antérieure provenant d’un centre de recours tertiaire, caractérisée par la sélection de patients difficiles présentant des antécédents complexes, a démontré que si les patients sont invités à s’exprimer spontanément sur leurs maux et à indiquer quand ils ont terminé, la durée d’expression spontanée est en moyenne de 92 secondes. Cependant, les médecins ont tendance à les interrompre en commençant à poser des questions précises après seulement 22 secondes. Certains recommandent une règle de 80/20 : écouter 80 % du temps et parler 20 % du temps9. Il est également bon de tenir compte du langage corporel, qui représente 55 % de la communication4.

Accorder au patient une zone de confort où il est libre d’exprimer ce dont il souffre est un signe de compassion et de respect. Cela pourrait prendre moins de deux minutes, mais il reste que cela améliore la collecte d’information et augmente le degré de satisfaction du médecin et du patient. Puisque la satisfaction influence l’issue, c’est un bon investissement14.

Comme le disait Maya Angelou : « J'ai appris que les gens vont oublier ce que vous avez dit, les gens vont oublier ce que vous avez fait, mais les gens n'oublieront jamais comment ils se sont sentis grâce à vous. » Farley considère aussi que le fait de « rencontrer une personne dans la douleur et de demeurer à ses côtés devient une expérience spirituelle »10.

En conclusion, nous postulons qu’il conviendrait d’utiliser la revue traditionnelle des systèmes et l’historique normal du patient comme filet de sécurité. Une rencontre devrait servir trois ou quatre fonctions : recueillir de l’information, développer une relation, communiquer de l’information, négocier des plans et faciliter la participation active du patient à ses propres soins. Cela ayant été accompli, dans les plus récents cadres de soins globaux, l’accent devrait être placé sur l’amélioration des communications entre médecin et patient pour assurer la responsabilisation du patient et sur la création d’une relation Je-Tu basée sur la compassion telle que décrite par Martin Buber7.

La communication motivationnelle est devenue un sujet populaire dans l’éducation médicale à tous les niveaux, du premier cycle à la formation professionnelle continue, et dans de nombreux milieux de pratique médicale différents. Si vous avez l’occasion de participer à une formation en communication motivationnelle, je vous le recommande fortement. Vos patients vous en remercieront.

Références :

1. Thompson A. Use of Motivational Communication to Better Patient Outcomes. 6 février 2015. Disponible à l’adresse : www.rheumreports.com/.

2. Ferrell B. Ethical perspective in pain and suffering. Pain Manag Nurs 2005; 6(3):83-90.

3. Covey SR, Merrill AR, Merrill RR. Priorité aux priorités. New York, New York: Simon and Shuster. 1995.

4. Camerlain M, Richard N, Trasler T. L’art de la Science: communiquer aux patients. Perspectives du College Royal 2005; 2(3):12-4.

5. Doheny K. Rx for Better Health Care: Kindness and Compassion. Health Day: News for Healthier Living. 24 novembre 2014. Disponible à l’adresse : www.consumer.healthday.com/.

6. Camerlain M. Communique l’espoir. L’Actualité Médicale 2006; 24:25-7.

7. Buber M. I and Thou. New York, New York: Free Press. 1971.

8. Camerlain M, Myhal G. Health Literacy: Bridging the Gap. The Canadian Journal of CME 2004; 68-73.

9. Kirby MJL. The Health of Canadians: The Federal Role. Final Report. Volume Six: Recommendations for Reform. Octobre 2002. Disponible à l’adresse : www.parl.gc.ca/.

10. Farley M. Compassionate Respect. A feminist Approach to Medical Ethics and Other Questions. 2002 Madeleva Lecture on Spirituality. Mahwah, New Jersey: Paulist Press. 2002.

11. Long LW. Communication and Motivation. Normal, Illinois: Illinois State University. 2000.

12. Deci EL, Ryan RM. Intrinsic Motivation and Self-Determination in Human Behavior. New York, New York: Plenum Press. 1985.

13. Prochaska JO, Norcross JC, DiClemente CC. Changing for Good: The Revolutionary Program That Explains the Six Stages...Six Stages of Change and Teaches You How to Free Yourself from Bad Habits. New York, New York: William Morrow. 1994.

14. Keele FJ, Lefevre JC, Kerns RD, et al. Understanding the adoption of arthritis self-management: stages of change profiles among arthritis patients. Pain 2000; 87(3):303-13.

Monique Camerlain, M.D., FRCPC,
Membre-conseil,
Service de rhumatologie,
Centre médical de l’Université de Sherbrooke
Rhumatologue en milieu communautaire,
Clinique Médicale Belvédère
Sherbrooke, Québec

May Shawi, Ph.D.
Responsable nationale de l’éducation médicale,
Janssen inc.
Toronto, Ontario

Denis Faucher, M.Sc.
Responsable de l’éducation médicale,
Janssen inc.
Montréal, Québec

 

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