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Été 2014 (volume 24, numéro 2)

Prix du rhumatologue émérite de la SCR 2014 : Dr Boulos Haraoui

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1. Pourquoi êtes-vous devenu rhumatologue? Quel motif ou quelle personne vous a orienté vers ce choix de carrière?

Pendant mes études en médecine et ma formation en médecine interne, j’ai toujours été fasciné par les pathologies multisystémiques complexes dont le diagnostic ne pouvait être établi uniquement par les épreuves de laboratoire ou l’imagerie médicale, mais qui exigeait aussi une anamnèse détaillée et un examen physique minutieux. Cet intérêt a nécessairement guidé mes choix vers l’endocrinologie et la rhumatologie; la rhumatologie l’a emporté après que j’eus rencontré le Dr Guy Germain (alors directeur du département à l’Université Montréal) durant mes stages. Il était passionné et entièrement dévoué à ses patients et il m’a convaincu qu’une carrière en rhumatologie m’apporterait une grande satisfaction; il m’a ensuite suggéré de m’intéresser plus spécialement à la polyarthrite rhumatoïde (PR), cette grave maladie invalidante, en poursuivant ma formation spécialisée en recherche. C’est ainsi que je me suis retrouvé à faire de la recherche fondamentale et clinique aux National Institutes of Health (NIH) avec l’aide d’une bourse d’études de la Société de l’arthrite (SA).

2. Quelles sont les qualités d’un rhumatologue émérite? En quoi incarnez-vous ces qualités selon vous?

Le rhumatologue est par définition un médecin compatissant qui comprend la souffrance de son patient et qui s’efforce de la soulager, tout en étant très conscient que les maladies rhumatismales ont une physiopathologie complexe. Grâce à ma formation, j’ai découvert l’ampleur des besoins thérapeutiques à combler ainsi que l’immense potentiel de la modulation du système immunitaire. C’est ce qui m’a convaincu de consacrer ma vie professionnelle aux patients atteints de PR et de participer à des projets multicentriques, comme les essais cliniques, le Consortium canadien de recherche en rhumatologie (CCRR), la cohorte canadienne de PR débutante (CATCH) et d’autres initiatives ayant pour but d’améliorer les soins aux patients, par exemple le programme T2T (Treat to Target). Le succès est fondé sur le travail d’équipe dirigé; vous devez à la fois être un joueur au sein de l’équipe et être un chef qui sait proposer et développer de nouvelles idées.

3. Depuis quelques années, l’Initiative canadienne pour des résultats en soins rhumatologiques (ICORA) est devenue l’un des plus importants organismes de financement de la recherche sur l’arthrite au Canada. Quel a été l’impact de son intégration à la SCR?

Comment se transformera l’environnement de la recherche clinique en rhumatologie au cours de la prochaine décennie? Parmi les réalisations dont je suis le plus fier, je retiens la croissance de l’ICORA, qui est née de l’initiative d’une seule entreprise et qui est aujourd’hui financée par plusieurs autres. À ce jour, l’ICORA vient au troisième rang des plus importants organismes de financement de la recherche en rhumatologie au Canada. Il est important que la SCR intervienne et soutienne la recherche en rhumatologie. Parce qu’elle privilégie la recherche clinique, l’ICORA joue un rôle complémentaire de celui de plusieurs initiatives de la SCR en matière de formation et de gestion de la pratique. Ainsi, la SCR est en mesure d’établir les priorités de recherche dans des domaines reliés aux besoins insatisfaits en matière de soins aux patients, et aussi de soutenir financièrement le travail des jeunes chercheurs cliniciens.

4. Depuis de nombreuses années, vous avez rempli des mandats diversifiés au sein de la SCR. Quel sera votre legs le plus durable pour notre organisme?

Deux legs me semblent particulièrement importants. Le premier est celui de l’apport des membres francophones à l’évolution de la SCR, et ce, dans la foulée de plusieurs prédécesseurs. J’espère que nous attirerons ainsi une plus jeune génération de rhumatologues québécois. Le second est d’avoir amené l’ICORA dans le giron de la SCR après que l’ICORA eut atteint sa pleine maturité et soit devenue un organisme autonome; cette initiative poursuit sa mission de faire progresser les soins aux patients au Canada.

5. Vos travaux dans le cadre des essais cliniques avec les médicaments biologiques dans le traitement de la PR ont jeté de nouvelles bases pour la recherche dans ce domaine. Pourquoi les médicaments biologiques revêtent-ils une si grande importance dans l’arsenal thérapeutique? Quels développements se révéleront des succès ou des défis à relever dans les années à venir?

Le traitement par les médicaments biologiques a grandement amélioré la vie de milliers de patients au Canada. Les rhumatologues sont maintenant en mesure de « promettre » de meilleurs lendemains à leurs patients. Cela étant dit, 15 années ont passé depuis l’arrivée du premier médicament biologique et nous avons maintenant accès à plusieurs; le moment est venu d’organiser nos conduites thérapeutiques de manière plus stratégique en détectant et en traitant la maladie dès le stade précoce, en élaborant des outils pour définir des sous-groupes de patients et en administrant des traitements individualisés. De plus nous ne devons pas oublier que la PR ne touche pas exclusivement les articulations et qu’il importe de traiter toutes les affections concomitantes et les atteintes extra-articulaires. Cette attaque sur tous les fronts ne peut se faire sans des équipes pluridisciplinaires comprenant des infirmières, des paraprofessionnels de la santé et des pharmaciens ni sans la collaboration avec des spécialistes d’autres disciplines médicales comme la pneumologie et la cardiologie. Nous devons convaincre les autorités sanitaires d’investir dans de telles initiatives.

6. Vous êtes trilingue et vous êtes membre de plusieurs sociétés de rhumatologie dans d’autres pays. Quels progrès récemment accomplis ailleurs dans le monde ont un retentissement sur les projets de recherche au Canada?

De quelle manière vos séjours à l’étranger ont-ils influé sur vos points de vue quant aux projets menés au Canada? Mes rencontres à l’international m’ont montré à quel point la rhumatologie canadienne est tenue en haute estime et de quelle façon nous influons sur la pratique de notre spécialité dans plusieurs pays. Ces interactions m’ont également aidé à apprécier l’importance du travail en collaboration, une stratégie dans laquelle excellent certains pays. Cela m’a convaincu que nous avons besoin d’établir de tels modèles au Canada grâce à des initiatives nationales (p. ex. le CCRR et l’essai CATCH); nous devons également faire bénéficier les programmes internationaux (p. ex. T2T et 3E [Evidence, Expertise, Exchange Initiative] de nos compétences et de nos réalisations

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Le Dr Haraoui recevant son prix du président de la SCR, le Dr Carter Thorne, et de la Dre Janet Pope.

7. Quelle a été votre plus triste constatation durant votre carrière?

Ce qui m’a le plus attristé a été le déclin des essais cliniques commandités par le secteur privé au Canada. J’ai vécu l’excitation des premiers essais cliniques avec les médicaments biologiques à la fin des années 1990 et au début des années 2000 alors que je pouvais constater moi-même l’amélioration « miraculeuse » de l’état des patients en quelques semaines seulement. Au fil des ans, la méthodologie des essais clinique n’a pas été adaptée aux changements qui survenaient dans le traitement optimal de la PR, et il est devenu de plus en plus difficile de faire admettre des patients aux essais et d’acquérir de l’expérience avec les nouveaux médicaments avant qu’ils soient autorisés au Canada. En outre, le passage de la gestion interne des essais cliniques par les entreprises pharmaceutiques à la gestion externe par des organismes de recherche sous contrat a eu comme conséquence de couper les liens entre les chercheurs et le personnel et les services médicaux au sein des entreprises. Ces relations sont essentielles pour influer sur les modèles des études et pour promouvoir d’autres collaborations. Si l’on ajoute à cela la complexité attribuable aux nouvelles exigences légales, il est presque impossible pour le clinicien isolé de construire et de maintenir un réseau pour réaliser des essais cliniques.

8. Vous êtes perdu sur une île déserte. Quel livre souhaiteriez-vous avoir gardé?

Le prophète, de Khalil Gibran. Ses poèmes résument en quelques pages toute l’expérience de l’humanité. Je l’ai lu au moins douze fois et j’y trouve à chaque fois un nouveau sujet de réflexion.

9. Qu’est-ce qui vous plaît le plus du fait de vivre à Montréal?

Pour une personne qui est originaire du Moyen-Orient et qui a été éduquée en français, Montréal offre le meilleur de la culture nord-américaine colorée par l’influence européenne. C’est la seule ville où vous pouvez passer de l’anglais au français (et parfois dans une troisième langue, l’arabe dans mon cas) sans rompre la continuité de la conversation. La vie culturelle à Montréal est riche et palpitante et les restaurants y servent une fine cuisine remarquable. De plus, on peut s’adonner facilement à des activités de plein air.

Boulos Haraoui, M.D., FRCPC
Professeur agrégé de médecine,
Université de Montréal
Chef de l'Unité de recherche clinique en rhumatologie,
Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM)
Président,
Comité directeur de l’ICORA
Montréal, Québec

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